Georges Duboeuf et Daniel Bulliat sont deux figures du Beaujolais. L’un est négociant, l’autre est vigneron. Ils nous ouvrent le livre de leurs souvenirs et nous entraînent dans l’incroyable histoire de ce vin gourmand.
Retranscription de la vidéo
« Un vin nouveau dans le Beaujolais, c’est pas compliqué : vous avez un terroir et surtout un cépage, qui s’appelle le gamay. C’est un raisin noir à jus blanc, avec une peau très fine, qui permet d’avoir des vins très croquants que l’on peut consommer jeunes.
Nulle part ailleurs on ne peut trouver ce genre de conditions climatiques pour arriver à produire des vins primeurs d’exception.
Je vous rappelle que du gamay il y en a 30 000 hectares dans le monde, et il y en a 20 000 hectares dans le Beaujolais. C’est un cépage qu’on ne peut pas mettre dans les pays très chauds et qui est vraiment adapté à nos sols acides et granitiques.
C’est le gamay, bien sûr, qui fait la différence. Et aussi les hommes, peut-être.
1951, c’est le décret officiel de la mise en place du Beaujolais Nouveau.
C’est la première année dans laquelle le décret sur cette appellation a été donné par l’INAO.
On en faisait déjà quelques bouteilles avant mais là, ça a été vraiment le déclic officiel. Mais bon c’était vraiment pour mettre une ligne de conduite, une date de sortie…
Ce vin a été mis en vente d’abord le 15 novembre, puis le troisième jeudi de novembre parce qu’effectivement il y avait un problème administratif qui se posait dans le cas du 15 novembre, qui tombait évidemment aussi bien un lundi qu’un mardi, qu’un jeudi, qu’un samedi ou qu’un dimanche et qui posait des problèmes sur le plan administratif car il ne faut pas l’oublier : ce vin est accompagné de documents qui doivent être établis et tamponnés par l’administration.
On a beaucoup de souvenirs de tous ces moments-là. Ça a commencé par la région. Moi, je me souviens des premières soirées du Beaujolais Nouveau, où j’invitais chez moi à la maison une trentaine de personnes. On a commencé tout doucement mais à la fin, il y avait 800 personnes qui étaient là et donc jusqu’à minuit et plus il y avait effectivement la grande fête que l’on organisait en l’honneur du Beaujolais Nouveau avec des vignerons, des stars du show business, et avec des restaurateurs, des personnalités de la région, et bien au-delà de la région.
On fêtait le départ à l’époque. C’était à celui qui l’avait le premier, le Beaujolais Nouveau. C’était une forme de course, de rallye…
Ils partaient le 15 novembre, et ils arrivaient des fois le 15 novembre au soir, des fois le lendemain ou le surlendemain. Ça dépendait de où il allait et avec quel moyen de transport on l’emmenait. Certains partaient en voiture avec deux caisses, comme ça ils allaient plus vite qu’avec un camion… C’était ça le Beaujolais Nouveau. Aujourd’hui, tout le vin est parti avant, c’est toute l’évolution qu’on a eu depuis 65 ans. Aujourd’hui on fête la mise à la consommation.
« Le Beaujolais Nouveau est arrivé » donc… Je crois que ça s’est dû essentiellement aux bistrots qui écrivaient sur leurs portes « Le Beaujolais Nouveau est arrivé ! ». Instinctivement. Il n’y avait pas à l’époque d’affiches, pas de panneaux, il n’y avait rien du tout. Le vin était attendu dans tous les bistrots, les restaurants, les cavistes de la France entière.
Puis après il y a des gens qui ont travaillé pour qu’on puisse le porter loin et le faire découvrir, le faire connaître.
C’est vrai que c’était quelque chose qui était très important. Dans les années 80, il commençait à y avoir effectivement des opérations menées par l’Interprofession sur Paris où il y avait la grande soirée du Beaujolais Nouveau, qui après est allée au-delà puisqu’il s’est fait des fêtes dans le monde entier, aussi bien à New York que dans d’autres pays, et entre autres au Japon. On a été très conquérants, et aujourd’hui je pense que le Beaujolais est dans une phase de reconquête.
C’est chaque année la découverte d’un nouveau produit qui n’a rien en commun avec les autres. C’est aussi le plaisir à la fois des yeux, avec la couleur, le plaisir des senteurs qui sont merveilleuses, fabuleuses, et le plaisir du goût, du style, et de l’avenir que l’on peut porter sur ce vin extraordinaire, entre autre avec un millésime comme 2015. Mais comme on le fait chaque années quelque soit le millésime…
Je peux vous dire que pour chaque millésime il y a une histoire à raconter. Quand je faisais le vin avec mon père en 1976, qui était un millésime de la sécheresse, un millésime exceptionnel, puisque l’on ramassait des treize degrés natures alors qu’en Beaujolais, ça n’est pas courant. Là, en 2015, à mon avis on a un degré de plus, beaucoup plus de concentration, et c’est mieux que 76. Mes grands-parents et mon père m’ont beaucoup parlé de 47, moi je n’ai pas eu cette connaissance-là. On peut donc citer 1947, 1976, 2015.
C’est extraordinaire. Je pense que ce millésime 2015 on en parlera longtemps, très longtemps.
2015, surtout, n’oubliez pas d’en mettre dans votre cave ! »